La question complexe de l'arrêt de l'accompagnement au domicile en sport -santé
25 déc. 2024

Lorsque l’on intervient à domicile sur la base de prescriptions médicales et en dehors de programmes APA strictement bordés dans le temps (structures hospitalières ou maisons sport santé) il est toujours difficile de mettre fin à un accompagnement (Il me semble suite aux échos que je reçois qu’il en va de même pour les kinés dans le cas de patients douloureux chroniques) …
Cette difficulté est importante car elle questionne le sens profond de nos interventions mais aussi la réussite durable du dispositif « sport sur ordonnance » que la Haute Autorité de Santé appelle de ses vœux.
L’enjeu n’étant pas seulement de « rebooster » une personne pour quelques mois mais de la rendre plus active au quotidien et ce pour la vie et une tentative qui s’arrête brusquement revient finalement au même qu’une tentative qui n’aurait pas commencé. (voire comporte le risque d’éloigner encore plus la personne de l’activité physique)
Le sujet est complexe et comme toujours multifactoriel, commençons par définir quelques mots et concepts essentiels avant d’aller plus loin (je m’appuie largement sur le guide de prescription médicale de l’activité physique par la HAS en 2022)
La HAS invite les médecins prescripteurs après évaluation à classer les patients selon 4 catégories :
- Les patients dont l’état de santé et les restrictions nécessitent une rééducation -réadaptation à l’effort par un professionnel de santé de la rééducation (le plus souvent un kiné)
- Les patients qui après une période de rééducation (et au vue de leurs restrictions) ont encore besoin d’un programme d’activité physique dit adapté et dispensé par un kiné, un enseignant APA (formation universitaire niveau licence à minima) , un ergothérapeute ou un psychomotricien
- Les patients qui ne présentent pas de limitations particulièrement importantes mais dont le niveau d’activité physique est largement insuffisant et devient (ou va devenir) un facteur aggravant des maladies liées à la sédentarité et au vieillissement pathologique et qui ont besoin d’un soutien motivationnel au démarrage
C’est auprès de cette catégorie que j’interviens, une population souvent douloureuse par manque de mouvements, de mobilité et de contrôle moteur et dont les niveaux de force, d’endurance cardio vasculaire, d’équilibre et de motricité suivent des tendances régressives anormales.
- La 4 eme catégorie correspond à des patients suffisamment réceptifs, convaincus, et psychiquement capables d’organiser en pleine autonomie le dosage hebdomadaire de leurs activités physiques
Deux notions sont importantes à rappeler en complément :
La sédentarité définie comme le temps journalier passé en position assise ou couchée …et l’activité physique comme étant la somme des dépenses énergétiques :
- Liées aux tâches quotidiennes de la vie (les déplacements actifs, les tâches ménagères courantes, le bricolage, le jardinage, …ainsi que les tâches actives de la vie professionnelle)
- Mais aussi à l’exercice physique additionnel (pratique autonome d’exercices impactant les différentes dimensions de la condition physique : capacités cardio-vasculaires, musculaires et fasciales, neuromusculaires et métaboliques)
- Et enfin aux activités sportives ou associatives supervisées
La question centrale devient donc :
Comment permettre aux personnes de la 3eme catégorie de basculer dans la 4eme , combien de temps faut-il pour y parvenir ? quels principaux freins allons-nous devoir progressivement lever ?
De ces questions découle le sens profond et multiple de notre mission d’éducateur sportif sport santé au domicile :
- Eduquer, informer sur les risques de la sédentarité et sur les bienfaits de l’exercice physique en rendant ce champ de connaissances à la fois simple et compréhensible, concret et intéressant.
- Lever les appréhensions, les freins psychologiques et les représentations négatives …faire prendre conscience de la capacité de progrès, donner à espérer pour motiver et impliquer …
- Aider à la mise en place d’habitudes et de routines d’activités physiques adaptées à l’environnement domestique et à l’emploi du temps mais aussi aux besoins réels de chaque personne
- Evaluer où la personne se situe sur le continuum de la condition physique et déterminer la dose minimale efficace d’exercices à réaliser pour obtenir une réponse adaptative de l’organisme
- Donner un « coup de pouce » pour lancer un processus vertueux et obtenir de premiers succès indispensables pour le développement de la confiance en soi et de l’ »auto efficacité »
Mon expérience me donne quelques pistes pour décrire la dynamique d’un accompagnement selon trois phases successives :
- Une primo phase de découverte mutuelle et de tâtonnements (le duo « patient » - éducateur sportif se met progressivement en place avec le recueil de toutes sortes d’informations sur l’histoire et les représentations de la personne, sur l’observation de la fluidité des mouvements et l’identification des principales restrictions articulaires et musculaires, sur l’observation de la réaction du corps aux premiers exercices …la confiance et la sympathie se tissent également peu à peu , si importantes pour lever les appréhensions et susciter l’adhésion)
- Une phase de travail supervisée avec des objectifs à atteindre couplée avec une élévation des activités physiques quotidiennes et la mise en place en sus de routines simples d’activité physique complémentaires
A partir d’objectifs définis en communs et facilement objectivables l’éducateur sportif définit durant les séances supervisées une progression d’exercices adaptée au rythme d’apprentissage de la personne et constamment réévaluée. Ces objectifs (ou cet objectif) doit faire sens pour la personne accompagnée, (amélioration de la qualité de vie , retrouver des aptitudes passées , faciliter la réalisation de tâches courantes …)
En parallèle , toutes sortes de challenges et d’incitations sont mise en place pour rendre la personne plus active dans son quotidien et pour adopter des routines (même très courtes) d’exercices quotidiens
Il s’agit d’essayer de mettre en place une habitude, celle-ci doit pouvoir s’intégrer sans trop d’ efforts dans la vie de la personne , la durée de cette nouvelle habitude, sa fréquence, le moment dans la journée, les exercices qui la compose doivent être choisis avec son étroite collaboration , le coach est là pour encourager, soutenir , féliciter, adapter , modifier si besoin …mais la prise de cette habitude est l’affaire exclusive de la personne et sera l’indicateur clé de la réussite du programme.
- Une phase de préparation à l’arrêt progressif de l’accompagnement et de projection dans l’avenir
Si la phase de travail a été un succès, alors la personne a atteint son primo objectif , elle est devenue plus active au quotidien et a réussi à mettre en place une nouvelle habitude.
Il est peut-être parfois plus difficile de mettre fin à un accompagnement qui a fonctionné plutôt que sur un échec, car la sagesse populaire dit bien que l’on » ne change pas une équipe qui gagne », ou encore que » l’appétit vient en mangeant » … Pourtant l’accompagnement doit pouvoir progressivement prendre fin, non de façon abrupte mais étalé sur le temps avec un espacement des séances dirigées et une augmentation parallèle du suivi à distance.
D’expérience la première phase dure un mois environ, la seconde de 5 à 7 mois et la dernière de 2 à 3 mois (données moyennes mais recouvrant des situations individuelles très différentes mais qui en général aboutisse à un accompagnement total d’une durée de 8 mois au minimum pour aller vers un an dans certaines situations
D’un point de vue de la dynamique d’adaptation des qualités physiques on peut en général espérer des gains cardio-vasculaires en 4 – 5 mois, des gains de contrôle moteur en un mois et demi , des gains nerveux de force en 2 – 3 mois et en masse musculaire en 5-6 mois , des gains de mobilité et de souplesse en 2 – 3 mois et des progrès en équilibre en 4 – 5 mois
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Abordons donc maintenant quels sont les facteurs qui rendent la fin de l’accompagnement particulièrement difficiles Chaque phase comportant des écueils spécifiques
Durant la primo phase, le risque est plutôt l’arrêt prématuré par une mauvaise prise en compte des réactions imprévisibles du corps aux premières sollicitations (surtout si la personne est très peu active depuis longtemps).
Toutefois une démarche de type « Pacing » , une bonne information sur les réactions possibles , le savoir être et le caractère bienveillant et rassurant de l’éducateur sportif ainsi qu’un suivi téléphonique régulier en dehors des séances aident largement à passer ce premier niveau.
C’est durant cette période que se met en place la relation de confiance et de sympathie, élément essentiel à la réussite de l’accompagnement mais aussi facteur de risque à terme car l’attachement « affectif » au coach peut être une des causes qui va rendre la séparation difficile en fin de programme
A ce titre la situation de la personne : son âge , son niveau de relations sociales (ou dit autrement son degré d’isolement ) , sa santé mentale et sa capacité de projection dans l’avenir sont autant de facteurs qui vont biaiser la relation au coach …l’exemple de la solitude est frappant et beaucoup de personnes accompagnées finissent par attendre de cette heure de coaching beaucoup plus que la simple réalisation d’exercices , c’est l’occasion de parler , de raconter des souvenirs , de confier des peines …Quelle attitude avoir en tant que coach ? comment trouver le bon dosage entre empathie , humanité et rappel du cadre … Pas toujours facile…une attitude et un positionnement qui requiert un véritable apprentissage. Certes la sympathie que nous dégageons est essentielle dans nos métiers mais c’est surtout notre efficacité à rendre autonome qui devrait être reconnue.
Durant la phase de travail nous allons très rapidement nous rendre compte si la personne accepte de sortir de sa zone de confort pour atteindre le niveau de stress minimal nécessaire à l’adaptation du corps et surtout si elle parvient à mettre en place une routine de mouvements en autonomie.
Cette difficulté à augmenter le temps d’activité en dehors de la présence du coach est une des autres raisons majeures qui va rendre l’arrêt de l’accompagnement difficile et nous serons donc assez vite alerté sur ce sujet.
En fait la thérapie efficace par l’exercice repose sur l’acceptation d’un niveau d’effort minimal et le cerveau n’est pas toujours un allié car un effort demeure avant tout un stress… (bénéfique certes selon la loi de l’ormése mais un stress tout de même) …, surtout le principe de récompense lié à l’effort n’est pas le même que celui du plaisir immédiat (type aliment sucré, émission télé préférée, réseaux sociaux…) , il est plus long à se mettre en place et il suppose d’adhérer pleinement à l’idée que l’activité physique est essentielle pour notre bonne santé.
La question qui me titille est la suivante, Nous serons alerté au bout de 3- 4 mois sur la difficulté de la personne à augmenter en autonomie son temps d’activité, souvent et j’ai pu le constater il y a une corrélation forte entre santé mentale et difficulté à bouger en autonomie.
Que faire alors ? Faut il que le médecin prescripteur cesse de renouveler l’ordonnance ? Faut il continuer mais jusqu’à quand ?
Il me semble après avoir lu et relu le guide de l’HAS que cette question de la santé mentale du patient en tant que frein à l’autonomie , au sentiment d’auto efficacité et à la capacité de projection dans l’avenir a été sous-évaluée (même si elle est mentionnée)
Je pense toutefois que si l’accompagnement n’a pas généré une augmentation du temps actif au bout de 6 mois nous pouvons hélas conclure que la démarche n’a pas fonctionné et nécessite pour le coup d’être réévalué par le médecin prescripteur
Autre cas de figure plus positif, la démarche est un succès, à l’issue de la phase de travail supervisée la personne a objectivement progressé, a augmenté son niveau quotidien d’activité et a réussi à mettre en place des routines quotidiennes.
Il y a de grandes chances que la personne confortée dans ces premiers progrès souhaite toutefois continuer dans les mêmes conditions et interrompre abruptement l’accompagnement comporte le risque de voir tous ces efforts réduits à néant
La troisième étape est donc celle du retrait progressif avec un suivi plus distanciel que présentiel, étape qui n’est pas facile à négocier non plus, mais totalement indispensable et j’avoue faire preuve d’un certain esprit critique vis-à-vis des programmes qui s’arrêtent brusquement sans qu’une stratégie de transition n’ait été mise en place.
Le guide de la HAS me parait également incomplet sur cette question.
L’objectif de la troisième phase sera donc de conforter la personne dans son nouveau mode de vie plus actif, de l’aider à concevoir une routine d’exercices personnelles susceptibles de maintenir ses qualités musculaires et d’équilibre et de l’encourager vivement à rejoindre une structure associative collective ou une salle de sport (voire à contacter un coach sportif)
Après l’arrêt effectif de l’accompagnement, un suivi à distance durant les 6 mois à venir me semble également essentiel
Pour résumer, l’objectif de cet article était de pointer la question essentielle de la fin de l’accompagnement dans le cadre d’un coaching sport santé
Les éléments fondamentaux suivants ont été mis en avant :
- Importance de clarifier avec le médecin prescripteur les 3 types d’accompagnement ( rééducation – activité physique adapté - sport santé qui mobilise des intervenants de compétence et de qualifications différentes
- Dans le cadre de l’accompagnement en sports santé (mon domaine d’intervention) bien clarifier avec le patient le rôle de l’éducateur sportif et présenter la logique de la démarche d’accompagnement en 3 étapes
- Pour objectiver la réussite de la phase de travail, fixer avec le patient (et l’aval du médecin prescripteur) un objectif mesurable , réaliste et surtout faisant sens car de nature à résoudre une problématique quotidienne rencontrée par le patient
- Alerter le médecin prescripteur au bout de 3 mois si le patient n’a toujours pas réussi à augmenter de façon autonome son niveau d’activité physique et si une dépendance envers le coach semble se mettre en place
- Après la phase de travail (soit 6 à 8 mois selon l’engagement des patients ), espacer les rdv présentiels et basculer vers une modalité de suivi plus distancielle
- Ne conclure à la réussite de l’accompagnement qu’après 6 mois après sa cessation effective
